J'ai une confession à te faire: je l'ai aimée, moi, ta performance au Gala de l'ADISQ. En fait, j'ai vu ça comme le coup de pied au cul dont la proprette télé québécoise avait bien besoin. À preuve, deux semaines plus tard, les blogues sur le Web n'en dérougissent toujours pas:
"Il avait l'air gelé!"
"Jean Leloup se sacre maintenant carrément de son public!"
"Il ne sait plus chanter!"
De toute façon, il y a longtemps que j'ai arrêté d'essayer de te comprendre. À la sortie de ton album Mexico, je t'ai même momentanément déserté, ne reconnaissant plus celui qui m'avait tiré une larme en entonnant I Lost My Baby sur la scène du Métropolis il y a 13 ans, à l'époque où les chansons du Dôme se mêlaient aux effluves de patchouli et de chanvre dans tous les cafés étudiants de la province. N'empêche que le soir de l'ADISQ, je n'ai pu m'empêcher de te regarder jusqu'au bout, scotché à mon téléviseur et complètement bouleversé de te voir débarquer en Mohican rock de l'apocalypse accompagné d'un orchestre reggae et coiffé d'un chapeau de cowboy noir qui te donnait des airs de fossoyeur du Far West. Bonne ou mauvaise, on n'avait pas vu au petit écran pareille performance démentielle et aussi profond je-m'en-fous-et-je-fais-ma-petite-affaire depuis longtemps. Le Fuck You télévisuel de l'automne.
Je ne sais pas si ton cerveau en constante ébullition s'en souvient, mais on s'est croisé la semaine dernière. C'était pour un tournage de l'émission Voir, dans ton local de répétition du Mile-End. Tu sais quoi? Ce matin-là, j'ai compris. J'ai compris qu'entre deux pétages de bulle au cerveau, toi, le grand chaman de la musique québécoise, tu savais très bien ce que tu faisais. Arrivé pile-poil au rendez-vous, à 9 h 30 du matin, coiffé de l'inséparable chapeau noir qui camoufle ta calvitie de rockeur vieillissant, tu as pris le contrôle en à peine 30 secondes:
Vous tournez avec quel type de caméra?
Prends tes photos comme ça!
Laissez-moi vous donner de l'action pour mettre dans votre reportage! C'est de la tivi qu'on fait, esti!
Au fond, mon cher Jean, tu es vraiment le roi du marketing, conscient de ton image de chanteur un peu débile et imprévisible, de la portée de tes propos, du fait que ton spectacle chaotique à Québec, l'an dernier, est loin d'avoir fait l'unanimité. "Les coupures de journaux où on m'a traité de con parce que j'avais insulté la foule et massacré mes chansons sur scène, je les ai gardées! J'avais tout prévu, ça et le show. C'est une ?uvre totale que je vais exposer un jour dans un musée!" que tu m'as raconté, assis par terre comme un gamin entre deux répétitions pour ton grand retour sur scène. Mais malheureusement, peu importe ce que tu feras ou diras à présent, c'est le personnage plus grand que nature qu'on jugera d'abord. Au diable la démarche. Au diable l'originalité de l'exécution. John the Wolf, tu n'es plus qu'un fou chantant.